Le Baptême du Haut-Parleur: entre ironie et tragédie

le baptême du haut-parleur
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Maija Tammi

Du 8 au 16 mars, le festival La Semaine du Neuf revient pour une 3e édition riche en découvertes. Parmi les propositions audacieuses cette année, ne manquez pas Le Baptême du Haut-Parleur, un techno-opéra qui interroge avec ironie notre relation ambivalente à la technologie.

Née de la collaboration entre le duo électro-acoustique Sawtooth (Sarah Albu et Matti Pulkki) et le compositeur Charles Quevillon, cette œuvre hybride pour voix, accordéon, marionnettes et électronique, nous entraîne dans un récit à la fois tragique et sarcastique autour de l’amour d'un haut-parleur. Objet technologique du quotidien, le haut-parleur devient ici le symbole d’une société de consommation pleine de paradoxes. Charles Quevillon et Sarah Albu nous en disent plus sur cette création étonnante.

Tout commence en 2023, lorsque le duo Sawtooth réalise une commande d'œuvres auprès du compositeur Charles Quevillon. “Quelque chose qu’on pouvait présenter lors d’un récital”, précise Sarah. D’une pièce de 20 minutes, le projet devient finalement un opéra d’une heure, Le Baptême du Haut-Parleur.

Réalisant un doctorat en Finlande à l’Académie Sibelius, Charles travaille sur la thématique du sacré et des technologies : “Pour moi, le haut-parleur est un objet profane. Il est tellement ancré dans notre quotidien. Je l’ai tous les jours dans mes oreilles, à travers mes écouteurs, mon ordinateur, etc”. Entre spiritualité et performance musicale, l’opéra donne une vision sacrée du haut-parleur au travers de rituels modernes.

LE RÉCIT DU BAPTÊME

C’est l'histoire d’une mère, interprétée par Sarah, qui entretient une relation d’amour maternelle avec un haut-parleur. Au fil du spectacle, cet objet devient roi, il déploie sa pleine puissance. Mais “comme toute chose matérielle, il finit par mourir”, précise Charles. Un sujet dramatique, des perspectives sérieuses inspirées du monde actuel, contrebalancées par quelques surprises et notes d’ironie.

Notre rapport à la consommation est clairement interrogé comme l’explique le compositeur : “lorsque j’essaye d’approfondir ma relation avec le haut-parleur, toutes les connotations plus ou moins bonnes de la consommation et de l'industrialisation viennent la polluer”.

Toutefois, cette réflexion est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Le Baptême du Haut-parleur est une tentative de réconciliation avec cette société consumériste. “En même temps, comment pouvons-nous faire sans ?”, c’est la question que se pose Sarah qui travaille aussi sur des projets de musiques très anciennes et folkloriques sans amplification. "Je ne peux imaginer un monde où l’on abandonne complètement tout objet électronique dans notre art ou dans notre quotidien, sans qu’il ne se passe un grand désastre”. 

La pièce met en lumière une reconnaissance de ces outils consuméristes qui nourrissent à la fois leur travail et la création artistique mais qui questionnent aussi nos modes de consommation et leur volonté personnelle d’agir au mieux pour la planète. Comme l'évoque Sarah : "Est-il possible de travailler de façon plus responsable tout en utilisant ces technologies ? Notre esprit créatif et notre envie d’expérimenter sont-ils compatibles avec notre conscience écologique ? C’est finalement s’attaquer à un système bien plus grand que nous en tant qu’individus".

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LE HAUT-PARLEUR HUMANISÉ ?

Durant la performance, les gestes envers l'objet rappellent ceux d’une maman avec son enfant. Un attachement s’opère entre elle et lui : “Parfois, j’interagis uniquement avec le haut-parleur sur scène. J’ai créé une vraie relation dans laquelle je vis des émotions. Ça m'a transformée”, décrit-elle. Plus le spectacle se déroule, plus l’envie de le faire souffrir, de le torturer ou encore de le punir prend le dessus. L’opéra donne vie à cette technologie, tel un humain à part entière, démontrant toute la place qu’il ose prendre dans notre quotidien. 

Autre personnage qui prend vie : le dieu du haut-parleur incarné par une marionnette géante. Sa voix est directement inspirée d’une anecdote personnelle de la soprano : “J’avais changé la voix de mon Siri lors d’un voyage à Terre-Neuve pour avoir l’accent irlandais. J’ai finalement créé un attachement avec cet être-là. Charles s’en est inspiré”. 

Dans l’ombre, c’est lui qui anime la marionnette : “dans un théâtre, une voix qui sort de nulle part fait toujours penser à celle d’un dieu, à quelque chose de désincarné. Lui donner vie à travers une marionnette, c’est tourner ce dieu en ridicule finalement. C’est utiliser cette figure du tout-puissant et l’incarner via une forme contraire à cette toute-puissance”.

UN PROCESSUS CRÉATIF ÉVOLUTIF

Les nombreuses sessions de travail ont permis de faire évoluer le projet, d’échanger sur les histoires et les symboles que chacun souhaitait mettre en scène (ex : l’intelligence artificielle, le phénomène du”unboxing” sur YouTube). La pièce a été créée en Finlande où la marque Genelec est très présente comme le raconte Sarah : “Ils sont partout ! Nous avons commencé à nous envoyer des photos dès que nous apercevions ces hauts-parleurs. L’œuvre parle donc aussi de notre attachement à cet objet dans la création même de ce projet”.

En collaborant avec Charles, elle savait qu’il y aurait du mouvement, de la gestuelle. S'ajouteront plus tard des éléments visuels ou encore de la vidéo. Par exemple, les mémoires du haut-parleur, “de sa naissance en tant que poussière d'étoile jusqu'à ses vacances d'été sur la plage” sont représentées à travers des photos polaroïds. L'utilisation de la vidéo était, quant à elle, nouvelle pour le compositeur. Un médium  rapidement devenu indispensable dans le spectacle pour exprimer et ne pas négliger le processus d'industrialisation et de fabrication du haut-parleur. Il a fait appel aux artistes Maija Tammi et Jan Rosström pour l’accompagner sur ce volet.

Côté musical, l’accordéon, joué par Matti Pulkki, interpelle certainement par son interprétation virtuose, ajoutant une composante expérimentale et beaucoup de personnalité  à cette pièce : “le public va entendre l’accordéon comme il  ne l’a jamais entendu”, assure Sarah.

Entrevue réalisée par Typhaine Allain

 

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Sarah Albu nous parle du Baptême du Haut-Parleur